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ETES-VOUS UN SALE CON ?

mardi 10 avril 2007

Le DAF et les porte-flingues

Une nouvelle histoire. Merci au rédacteur anonyme, ainsi qu'au dessinateur (non anonyme) qui a bien voulu que nous illustrions l'histoire avec son délicieux petit dessin (qui originellement, vient de ).


Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée il y a une quinzaine d’années. C’est en lisant Objectif Zéro-sale-con que j’ai souhaité la partager, et plus particulièrement après l’excellent avant-propos, où est évoquée la « nazification » de l’entreprise.

Si on nous rabâche les oreilles avec le vocabulaire guerrier en vigueur dans ce monde global et compétitif qui est maintenant le nôtre, paraît-il, on passe bien vite sur ce qu’est au fond une guerre : « le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » écrivait Paul Valéry.

J’étais directeur administratif et financier d’une PME qui ne se portait pas très bien, et qui appartenait à un petit groupe, dont les actionnaires et propriétaires, eux, se portaient fort bien.

Ils avaient racheté peu de temps avant une autre PME, prospère et provinciale, que nous avions la tâche peu glorieuse de fermer.

Le directeur administratif et financier de cette filiale, qui avait toujours été amical et paternel avec moi, tout à son souhait de sauver les emplois de ses collègues, avait commis une erreur.

C’était une maladresse bien plus qu’une malhonnêteté intentionnelle.

Mais nos actionnaires furent trop heureux de trouver là l’occasion de se débarrasser d’un homme qui coûtait fort cher à licencier. Ils m’envoyèrent deux porte-flingues pour que j’entame une procédure de licenciement pour faute grave, avec l’ultime argument : « Si ce n’est pas vous qui le faites, nous le ferons et ce sera bien pire pour tout le monde. »

Cela ne vous rappelle rien ? Quelque Obersturmfürher en uniforme vert de gris, demandant à des innocents de choisir d’autres innocents pour servir d’otages ? Si on n’obéit pas, c’est le massacre assuré, mais si on obéit, c’est la complicité de crime de guerre.

Mon patron de l’époque, intelligent, sympathique et plutôt moral, était fort embarrassé. Il l’était tellement qu’il rajouta à mon endroit un bon argument : « je ne ferai rien sans vous » me dit-il en m’appelant chez moi un dimanche matin, probablement pour que je me sente plus à l’aise !

Et nous voilà à organiser le psychodrame, bourreaux sur commande d’une victime expiatoire qui ne nous avait rien fait.

Notre collègue fut en larmes dès le premier entretien.

Mais nous n’étions que des bourreaux d’occasion, des ordures de pacotille en quelque sorte. Et pendant que j’organisais cette sombre affaire le jour, la nuit je conseillais ma victime, qui, dans son désarroi, n’avait pas trouvé d’autre recours que son accusateur.

C’est sur mon conseil qu’il prît un avocat, que mon patron connaissait. Nous espérions ainsi arriver à un accord plus rapidement, sans trop nous salir les mains. L’avocat était intègre : il conseilla à son client d’aller en justice, son dossier étant vide. Le chaos s’installait, et ma seule consolation était que je n’avais visiblement aucune prédisposition pour l’assassinat en bande.

Après diverses péripéties ubuesques et sans rapport avec les théories connues de l’organisation, un accord fut signé. Les sentiments des uns et des autres étaient contrastés : les porte-flingues de l’actionnaire trouvaient qu’on avait mal négocié (ils avaient raison), mon patron ne comprenait plus très bien pourquoi nous avions fait tout ça, notre victime, curieusement, nous était reconnaissante de tout ce qu’on avait fait pour lui. Pour ma part, je cultivais mon sentiment de culpabilité, nourri contradictoirement par les soupçons justifiés de nos commanditaires et la gratitude désespérée de celui que j’étais censé exécuter.

Quelques mois plus tard, les mêmes porte-flingues viraient mon patron, décidaient de fermer notre boîte, et me demandaient de virer tout le monde en finissant par moi. J’avais beaucoup grandi en quelques semaines, et négociais des conditions de départ plus que correctes pour tous. À sale con, sale con et demi.



« Complice, complice, c’est comme auteur. Nous en sommes les complices, nous en sommes les auteurs. Complice, complice, c’est autant dire auteur.

Celui qui laisse faire est comme celui qui fait faire. C’est tout un. Ça va ensemble. Et celui qui laisse faire et celui qui fait faire ensemble, c’est comme celui qui fait, c’est autant que celui qui fait. C’est pire que celui qui fait. Car celui qui fait, il a au moins le courage de faire. Celui qui commet un crime, il a au moins le courage de le commettre. Et quand on le laisse faire, il y a le même crime ; c’est le même crime ; et il y a la lâcheté par dessus. Il y a la lâcheté en plus.

Il y a partout une lâcheté infinie.

Complice, complice, c’est pire qu’auteur, infiniment pire. »

Charles Péguy
Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc

1 commentaire:

Josick a dit…

"nazification" de l'entreprise ? Pour ma part, j'utilise cette terminologie néo-nazi à propos de cette structure d'occupation par l'intérieur qu'est l'administration française.